– Madmwazèl, ou sur se koulè vèni sa a ou vle mete jodia ? M gen on ti woz pal wi. L ap fè w byen anpil.
– Ti cheri, se pa kado yo fè m kado vèni an non. Se achte m achte l menm pou m mete.
Ma réponse est rapide. Sèche. Tranchante. Ce vernis noir, je suis déterminée à l’utiliser aujourd’hui. Et il n’est pas question que je laisse mon esthéticienne s’ériger en gendarme pour m’en empêcher. Je sais que certains me qualifient d’emblée de « frekan ». J’accepte le titre avec humilité. Mais croyez-moi, si on était plus nombreux à remettre à leur place certains impudents, il y aurait bien moins de déprime sur la terre !
Quand comme moi on est d’un naturel timide et qu’il nous faut rassembler tout notre courage pour oser le moindre changement d’apparence possible, il s’avère nécessaire de protéger les moindres acquis. Je sais que je ne peux pas interdire aux autres d’avoir une opinion sur ce que je fais. Mais dans la plupart des cas, surtout quand ces opinions débordent de mauvaise foi, de négativité et de méchanceté, je préfère qu’ils les gardent pour eux. Je refuse de laisser une simple phrase détruire des mois d’efforts et de préparation.
Je ne suis pas la première personne qu’on remarque quand on entre dans une salle, qu’il y ait dix personnes ou deux cent. Je suis timide et complexée. Je ne suis pas de ces femmes qui, pleines d’assurance, s’affichent le plus naturellement possible avec les looks les plus extravagants qui soient. Maquillage dramatique, talons vertigineux, coupe de cheveux excentriques… Moi, quand enfin je mets de côté mes sempiternels jeans, je passe deux heures devant le miroir, histoire de m’assurer que je veuille vraiment laisser le confort de ma maison et aller affronter regards et commentaires parfois désobligeants des autres.
« Wòb ou an klere papa ! »
« Sa w fè nan tèt ou ankòla pitit ? »
« Ou vinn twò mèg wi fi sa a ! »
« Mezanmi, fò w fon jan ak vant lan ma chère ! Li genleu ap vinn pi gwo de jou an jou. »
Je pourrais continuer pendant longtemps encore avec la liste de ces commentaires que j’ai recueillis au fil des années. Quand ces remarques viennent de simples connaissances, il est bien facile de remettre l’individu à sa place. Du moins, pour moi, ça l’est. Fort souvent, un simple « Pardon/Kisa ?», avec le ton et l’expression du visage qu’il faut, suffit pour reclasser l’individu, qui marmotte des excuses et s’en va la queue entre les jambes. Des plus effrontés, je récolte au pire des cas un « eskize m labouyi, m pat konn si w te cho ». Bref, rien qui puisse vraiment m’atteindre.
Mais quand le commentaire vient d’un proche, c’est plus compliqué. Il y a de ces tantes, cousins éloignés et amis indélicats qui ont leur avis sur tout. La réponse cinglante qu’on leur épargne nous reste en travers de la gorge et nous submerge de frustration. Savent-ils seulement combien de temps et d’efforts ont été investis dans la réalisation de cette coiffure qu’ils jugent avec autant de désinvolture ? Quand justement le résultat de ces efforts est loin de ce que j’avais espéré, qu’on me le rappelle à chaque coin de rue est une attaque directe à ma santé mentale.
Mes complexes personnels et la crainte du jugement des autres m’ont justement limitée pendant trop longtemps. Aujourd’hui encore, il me reste beaucoup de travail à accomplir. Mais on est déjà loin du temps où je cachais mes ongles, couvrais mes épaules et mes jambes et gardais mon dos à l’abri des regards. Pendant des années, je me suis limitée au rose pâle tendant vers le « nude » autant pour mes lèvres que pour mes ongles. Puis un beau jour, j’ai osé le vernis rouge. Et ce fut le début d’une nouvelle ère. Par la suite, j’ai bien entendu essayé toutes les couleurs !
Ce fut de même pour les rouge à lèvres. Quand enfin j’ai déposé mon Lip gloss pour m’aventurer vers quelque chose de plus visible, c’était une véritable révolution. Je me suis sentie « bizarre » pendant la première semaine, mais je me suis dit que je devais continuer à me maquiller pour permettre à mon entourage de s’habituer à cette nouvelle image de moi. Toutefois, je n’ai pas tardé à comprendre que c’était avant tout à moi que je donnais ce temps, le temps de m’habituer à ces nouveaux artifices que j’aime bien, le temps pour moi de me sentir bien dans ma peau, le temps pour moi de m’habituer aux regards curieux ou simplement admiratifs… Peut-être qu’un jour je porterai pendant assez longtemps les grosses boucles d’oreilles – Créoles, pendants et autres – pour finalement arrêter d’appréhender autant mon regard que celui des autres.