Non, mais qu’est-ce qui m’arrive ?! Les femmes de 30 ans ou presque ne réagissent plus comme ça que je sache ! Les hommes, je connais et je ne suis même pas sûre d’en vouloir encore. Alors pourquoi suis-je là à surveiller mon téléphone, vérifiant que la sonnerie soit activée, que la batterie soit chargée… Bref que ce petit appareil soit en mesure de recevoir cet appel qui ne vient pas ? Voilà des jours que je poireaute. Moi qui croyais que ça ne prendrait que quelques heures ! Ah les hommes, c’est qu’ils ont l’art de vous donner de faux espoirs.

Je vous assure que je ne suis pas en train de me faire un film. Vous auriez dû voir comment il m’a regardée. Il y a eu tous ces coups d’œil furtifs. Un peu comme s’il ne voulait pas que je me rende compte que j’avais capté son attention d’abord. Puis, il s’est décidé à soutenir mon regard. Un regard profond, expressif, troublant… Il s’est carrément mis à me fixer, à me narguer, genre « Je te veux, et alors ? ». Bien sûr, cela a aiguisé mon intérêt. On s’est jaugé pendant ce qui m’a paru être une éternité. Puis on s’est quittés avec un sourire. Ce petit geste qui ouvre bien des portes…
En effet, déjà cet échange avait créé un lien entre nous, ouvrant un sentier qu’il a simplement suivi. Ce chemin lui a permis de me retrouver près de trente minutes plus tard, enfermée dans mon bureau. D’un ton naturel, il s’est présenté, ignorant la surprise qui devait se lire sur mon visage. Et moi, je l’ai écouté. Comme si je ne connaissais pas déjà son nom et sa fonction par cœur. Comme si je n’avais pas lu une bonne dizaine d’articles à son sujet au cours des derniers mois. Comme si je n’avais pas débattu son parfum avec mes amies à diverses reprises. Naturellement, il m’a demandé mon numéro et s’est poliment enquis des heures auxquelles il pouvait m’appeler. Non, mais quel gentleman ! Dois-je ajouter que j’ai fondu ? Genre littéralement ?
Bien sûr, je ne me suis pas fait prier pour lui filer mon numéro. Je veux dire, on ne refuse pas son numéro à un homme pareil. D’ailleurs, pour être encore plus honnête, pourquoi refuserais-je mon numéro à cet homme que j’avais croisé et eu le plaisir d’admirer à maintes reprises quand enfin il se décidait à le demander ? Qu’avais-je à perdre au juste ? Ma dignité ? Oh mais, quelle idée ! Vu le ton désintéressé avec lequel j’égrainais les chiffres on aurait pu difficilement deviner mon enthousiasme. Et de toute façon, il y’avait des occasions auxquelles on ne pouvait tourner le dos. Rien que ça ! De plus, je n’ai de cesse de le dire, arriver à me soutirer mon numéro ne veut rien dire. Il faut arriver à me faire décrocher le téléphone quand on appelle avant de crier victoire. Nouveau challenge, alors ?
En fait, sur ce coup, c’était à moi de crier victoire. Cet homme qui avait capté mon attention des mois auparavant s’était finalement décidé à franchir le pas. Il m’avait adressé la parole. Mais mieux encore, il avait demandé mon numéro, avant de se renseigner sur ma disponibilité. C’était bien trop beau pour être vrai, non ? J’étais ce qu’il y avait de plus excité. Déjà je réfléchissais à l’attitude qu’il me faudrait adopter quand il appellerait. Devrais-je décrocher à la troisième sonnerie ? Décrocher rapidement et me prétendre occupée ? Pour calmer mon angoisse, j’ai commencé par le googler. Son curriculum vitae imposant ne fit que m’impressionner davantage. Sur le moment, j’ai bien cru que j’étais la femme la plus chanceuse du monde, okay, d’Haïti seulement…
Et l’attente a commencé. Au cours des jours qui ont suivi, jamais le niveau de ma batterie n’a été plus bas que 40%. J’ai dû changer la sonnerie de mon portable au moins quatre fois. Il n’était pas question que je rate un appel faute d’avoir entendu sonner le téléphone. Et j’ai attendu. Deux jours. Trois semaines. Puis quatre mois. Et toujours rien. Puis, finalement, je me suis rendue à l’évidence, porter un homme à me demander mon numéro ne vaut pas grand-chose. Il faut surtout arriver à l’inspirer assez pour qu’il se décide à le composer. Après tout, le véritable succès de l’opération pour lui aurait bien pu se retrouver dans le fait d’être arrivé à soutirer son numéro personnel à cette femme réputée zuzu, austère, désintéressée… Et ainsi fut prise celle qui croyait prendre !